Quand la peinture visite le corps.
Quand la peinture visite le corps dans son rapport à la différence. Telle est la manière dont je reçois l'œuvre de Jacques Richard.
Le corps de l'homme et de la femme n'est pas à la dimension des représentations qui ont été faites en peinture. Il faut donc recommencer depuis le commencement. Jacques Richard en aura le courage.
Le corps réel est irreprésentable. Il peur sembler l'être en imagination Or c'est précisément ce corps en imagination qui peuple la peinture depuis les fresques pariétales au moins.
Comment dire qu'en ce temps immémorial le corps réel avait pour témoin le fait qu'une forme dessinée sur la paroi était induite d'une aspérité dans la pierre ? Comment dire que le corps réel ne saurait être senti que dans un corps à corps ? Le corps réel est perdu à jamais depuis notre entrée dans le langage qui instrumentalise ce qui était auparavant une symbiose.
Je reçois l'œuvre de Jacques Richard comme reconduisant ce moment de coupure entre le corps à corps et son instrumentalisation par le langage au moyen de fictions orchestrées dans la matière même de la peinture.
Les passages de la matière à la forme font les motifs de cette peinture qu'on ne peut plus, dès lors, réduire à un expressionnisme quelconque, que ce soit celui de CoBrA, celui de Francis Bacon ou encore celui d'un Arshile Gorky ou Philip Guston pour n'avoir à penser qu'à ceux-là.
Jean-Emile VERDIER, Montréal, le 4 novembre 1997.
On abordera utilement l'œuvre de Jacques Richard par la contemplation (pas toujours innocente) de ses carnets d'états d'âmes et de confidences, à l'encre et à la gouache, où il se raconte, se découvre, invente des ajustements de formes, des audaces et des harmonies subtiles de couleurs sur le thème du corps, celui de la femme de préférence, sur l'attirance de la peau, le désir qu'on peut avoir de la toucher, de la caresser, d'en franchir la limite, soudain, en la pénétrant.
Voyeur et "prévoyeur", l'artiste s'affaire dans le présent ou tâtonne dans le devenir. Les feuillets que nous évoquons, précieuse réserve d'émotions et de tentations sont vraiment d'une très grande importance dans l'élaboration d'une œuvre, sans servir nécessairement de "brouillons" à de plus grands formats. Jacques Richard est fort capable d'affronter directement ceux-ci, où la rondeur des contours se double de la roseur parfois porcine d'un coloris qui par lui-même est déjà d'une intention peu innocente. " Je m'invétère dans l'abominable".
L'artiste s'explique sur un élément important de son œuvre : "Ce que j'ai fait ces deux dernières années s'est plus particulièrement développé sur le thème de la langue (organe) et de ses fonctions, que cela se présente comme le morceau de chair que nous avons en bouche, comme organe tactile – organe sexuel – et bien sûr comme l'indispensable muscle de notre langage articulé." Chercher à voir et être contraint en même temps de se détourner…(…) (Galerie Isabelle de Mévius, jusqu'au 9 novembre)
Stéphane Rey
L'Echo de la Bourse du 7 novembre 1997
Corps réels, corps meurtris
Jacques Richard se méfie du corps vendu à la télévision. Il ne se contente pas d'un simple leurre, d'un effet de miroir. Non, il débusque le corps fatigué, celui qui se nourrit de fantasmes. Un triptyque plus ancien nous montre avec une rare violence le corps mâle dans tous ses états, entre érection et détente. On songe un moment à Velickovic, à Bacon. Les œuvres récentes choisissent un vocabulaire de haute enfance. Têtes rondes, seins déboussolés, ventres et jambes jetées. En matités, en griffures s'affirme un tourbillon organique qui revendique un chaos primitif. Les noirs, les blancs, les rosés, les bruns refusent la célébration chromatique et développent une sorte de mal-être qui fuit les images convenues. Une peinture de recherche, de remise en cause qui préfère le rythme syncopé à la joliesse de commande. (Fondation pour l'art belge contemporain, à Bruxelles, jusqu'au 17 avril).
Jo Dustin, Le Soir du mercredi 24 mars 1999.
